Le fascia : une structure qui unit l’Orient et l’Occident .
La question du fascia a longtemps été négligée dans les facultés de médecine occidentales, tant au sein du corps professoral, que chez les étudiants. En effet, on percevait le fascia comme étant essentiellement un simple matériau d’emballage, sans pour autant reconnaître son rôle important d’intégration dans le bon fonctionnement du corps.
Par contre, d’autres systèmes médicaux, dont certains remontent à plusieurs milliers d’années, avaient en revanche une vision très différente du corps. Ils reconnaissaient notamment l’importance de ces structures visibles et tangibles. Comme ce fut le cas pour beaucoup d’autres découvertes, les premiers explorateurs occidentaux qui se sont aventurés sur le territoire du fascia ont suivi les traces de leurs prédécesseurs orientaux, qui l’avaient déjà exploré considérablement par une cartographie et des descriptions méticuleuses de la région.
L'histologie et l'anatomie ont été brillantes pour décrire ce qui se trouve dans le corps, mais elles ont complètement ignoré l'espace entre les choses. Une étude plus approfondie révélera que le concept de Jing Luo Mai permet une compréhension plus complète de ce réseau de tissu conjonctif. (Daniel Keown, 2019)
Qu'est ce que le Neijing?
Les découvertes et les concepts relatifs à ce nouveau territoire se trouvent dans un ouvrage fondamental de la médecine chinoise, le « Huangdi Neijing », écrit il y a environ 2400 ans. De nombreux universitaires occidentaux ont étudié ces textes, dont le Dr Edward Neal, qui apporte depuis plus de 20 ans de nouveaux éclairages sur cet étonnant ouvrage médical, grâce à des traductions fondées sur des observations cliniques en médecine occidentale et en médecine orientale.
Ces textes anciens décrivent méticuleusement les plans fasciaux et les membranes, qui ressemblent singulièrement aux trajectoires et caractéristiques des chaînes myofasciales que des chercheurs contemporains, comme Tom Myers et Luigi Stecco, ont illustrées dans leurs travaux. Alors que le tissu conjonctif est considéré comme un métasystème ayant de nombreuses fonctions physiologiques et structurelles, « les canaux d’acupuncture forment un réseau dans l’ensemble du corps, reliant les tissus périphériques entre eux et aux viscères centraux » (Kaptchuk, 2000). Ce réseau, appelé Jing Luo Mai, est exposé en détail dans les textes du Neijing. On y trouve non seulement des descriptions de l’anatomie, de la physiologie et de la physiopathologie, mais aussi tout un système de traitement fondé sur des techniques d’aiguilles.
Acupuncture et techniques d’aiguille pour traiter les fascias
Les Chinois de l’Antiquité ont mis au point un système complexe et sophistiqué pour traiter le corps en passant par les fascias et les membranes. Plus particulièrement, l’une des méthodes de traitement consiste à manipuler ces structures avec des aiguilles. Selon Langevin et Yandow (2002), la relation anatomique entre les points d’acupuncture, les méridiens et les couches de tissu conjonctif est déterminante pour le fonctionnement de l’acuponcture. Le tissu conjonctif interstitiel pourrait ainsi jouer un rôle d’intégration essentiel.
Cette technique manipulation avec des aiguilles d’acupuncture peut donc modifier durablement la matrice extracellulaire autour de l’aiguille et ainsi agir sur les différentes populations cellulaires qui partagent cette matrice de tissu conjonctif (par exemple, les fibroblastes, les afférences sensorielles, ainsi que les cellules immunitaires et vasculaires).
Les découvertes de Langevin montrent qu’en stimulant le tissu conjonctif avec une aiguille d’acupuncture, on active la structure des fascias et la physiologie des cellules par mécanotransduction. Ce phénomène est comparable au concept du Qi, un élément fondamental du système des canaux. Bien qu’il n’existe pas d’équivalent physiologique reconnu pour ce concept, la terminologie des textes d’acuponcture décrivant plus largement le Qi évoque des processus dynamiques tels que la communication, le mouvement, ou l’échange d’énergie (O’Connor et Bensky, 1981).
Bien que le Qi puisse être compris sous l’angle du bon fonctionnement du fascia, il ne s’agit toutefois pas d’une nouvelle forme d’acupuncture, mais plutôt d’un système de traitement reposant sur une palpation et une observation méticuleuses. Ce système s’appuie sur des principes qui sont en parfait accord avec le mécanisme du fascia (Steven Finando, 2010). Dans une étude de 2012, James L. Oschman observe une similitude frappante entre le fascia et les approches thérapeutiques de l’acupuncture.
L’acupuncture classique du Neijing a pour objectif de réguler les différentes couches tissulaires du corps afin d’optimiser la circulation sanguine et de permettre au corps de retrouver son état d’équilibre et d’autoguérison innés (Edward Neal, 2017).
L’acupuncture se distingue des autres techniques qui agissent sur le fascia de diverses manières :
1— L’acupuncture permet de traiter le fascia dans des parties profondes du corps sans provoquer de traumatisme ailleurs dans le corps.
2— L’acupuncture peut agir sur le fascia dans plusieurs parties du corps simultanément. En effet, les effets se font sentir à la fois sur le site manipulé par des aiguilles et sur d’autres sites éloignés de ceux-ci.
3— Les anciens textes médicaux du Neijing décrivent vingt-six techniques d’aiguilles, dont plusieurs ciblent des couches tissulaires particulières, comme le fascia.
Conclusion
‘’Nous parlons tous, en fait, de la même chose, soit du corps humain, malgré les diverses approches par lesquelles on l’étudie. Par conséquent, nos différences sont probablement avant tout une question de langage et de métaphores, mais je pense que ce type de travail nous aide à comprendre comment l’Orient et l’Occident se rejoignent .‘’ (Neil Theise, 2018)
L’expérience considérable des thérapeutes et d’innombrables travaux de recherche confirment aujourd’hui les effets positifs de l’acupuncture sur notre santé, que ce soit par des méthodes traditionnelles ou des méthodes reposant sur des techniques scientifiques occidentales modernes.
En effet, si le réseau de fascias constitue le substrat physique des méridiens de la médecine traditionnelle chinoise (MTC), cette idée pourrait avoir des répercussions considérables sur la recherche et les soins cliniques. À la lumière des nombreuses études étayant cette notion qui continuent de s’accumuler, les diagnostics et les traitements devraient tenir plus largement compte des fascias (Yu Bai and Al. 2011).
Les avancées récentes de la recherche permettent de mieux comprendre le fascia et constituent un excellent outil pour les thérapeutes, qui peuvent ainsi aider leurs patients à s’épanouir et à vivre en bonne santé. Comme le montre Luigi Stecco, le fascia est en effet la structure qui unit l’Orient et l’Occident.
Texte par Elmar Pestel et Simon Bélair.
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