Fascias et acupuncture : les méridiens
Les 8-9-10 novembre 2024 avait lieu le 12e congrès du CFMTC à Aix en Provence en France et réunissait des acupuncteurs et praticiens de médecine chinoise venus des 4 coins du monde pour partager leurs domaines d’expertises respectifs. Ce fut l’occasion de présenter mes recherches sur les fascias et l’acupuncture et plus précisément sur la notion souvent controversée des méridiens traditionnellement appelés jīng luò mài. La réception très positive du public et des professionnels présents à cette plénière a donné lieu à des échanges très riches et à des collaborations prometteuses.
Nei Jing : Le premier ouvrage anatomique de l’humanité
Le besoin de redéfinir les bases anatomiques et physiologiques du concept des méridiens jīng luò mài est urgent et nécessaire pour la reconnaissance de la pratique acupuncturale auprès du public et des différents intervenants du niveau thérapeutique, médical et politique.
Il est important de reconnaitre que la compréhension de l'anatomie qu’avait les théoriciens de la médecine chinoise antique était beaucoup plus claire que ce qui est généralement admis.
Le concept des méridiens ou canaux est probablement celui qui a fait l’objet du plus grand nombre de spéculations et de débats depuis l’introduction de la médecine chinoise en occident. Ces trajets de Qi ‘’énergie’’ suscitent de nombreuses questions théoriques et pratiques depuis les premières traductions des textes fondateurs de la médecine chinoise par Georges Soulié de Morand il y presque 100 ans. Faute d’avoir un équivalent théorique et anatomique en occident, les tentatives de traduire un concept aussi complexe et profond a mené a des nombreuses incompréhensions et confusions autant au niveau du grand public que du côté médical et scientifique. Le langage énergétique adopté à l’époque, et qui perdure depuis nos premiers contacts avec l’acupuncture, ne correspond ni aux descriptions des textes médicaux chinois anciens ni à la réalité anatomique contemporaine.
Il est important de reconnaitre que la compréhension de l'anatomie qu’avait les théoriciens de la médecine chinoise antique était beaucoup plus claire que ce qui est généralement admis [1]. Le tout premier ouvrage de médecine chinoise : Le classique de l’empereur Jaune - (Huangdi Nèijīng), -168 est en effet considéré par plusieurs comme étant le tout premier ouvrage anatomique de l’humanité.
Le Nèijīng, dont certains chapitres ont été retrouvés dans leur intégralité lors de la découverte la tombe de Mawangdui enterrée dans le site archéologique de Changsha, dans la province de Hunan en Chine, contient effectivement des chapitres dédiés à des descriptions très précises des organes, du système musculo-squelettique, du réseau sanguin et également des méridiens jīng luò mài. Contrairement à la croyance populaire, des références claires aux dissections anatomiques y sont également bien présentes.
Ce compendium de médecine et de sciences naturelles offre de nouveaux paradigmes sur certains concepts fondamentaux tels que la santé, l’anatomie, la physiologie, la philosophie et la relation de l’humain à la nature et à son environnement [2].
Un réseau globalisant et intégré
Les termes jīng luò mài font référence à une trame organisationnelle, un réseau tissé, entrelacé et interconnecté. Ce système de distribution et de communication est central à l’organisation physiologique du corps lui permettant de fonctionner de manière globale et intégrée. Il est également important de comprendre que le système des méridiens se divise en deux grandes familles :
• Jing Jin (réseau myo-fascial) : Organisent et coordonnent le mouvement. Assurent la mobilité, le support, la contraction, la protection et la sensibilité de ses interfaces.
• Jing Luo Mai (réseau physiologique) : Système ''global et continu'' en interaction avec chaque cellule du corps et reliant l’interne et l’externe et les organes entre eux. Forme un réseau de stockage, de communication et de distribution du Qi et du sang.
Bien que le lien entre les méridiens d’acupuncture et les fascias ait été suggéré depuis longtemps [3] ce n'est que ces dernières années, avec l'explosion des nouvelles recherches sur la structure et la physiologie du fascia, qu'une nouvelle théorie, qui ne remplace pas, mais modifie le paradigme du ‘’Qi’’ en proposant une source d'explication sur les mécanismes de l’acupuncture et sur la nature des jīng luò mài [4].
Depuis le début du 21e siècle, le système fascial a graduellement fait son apparition avec comme qualités principales celles de la continuité et de la tridimensionnalité. Cette nouvelle définition des fascias et du corps humain nous permet désormais de considérer le corps humain dans sa globalité, c’est-à-dire tel un système décentralisé, sensible et contractile permettant au corps de fonctionner de manière globale et intégrée [5]. Cette définition s’arrime parfaitement avec celle du système des méridiens. Il existe également une correspondance presque parfaite entre les approches thérapeutiques des deux systèmes.
Du Micro au Macro
La relation entre les méridiens et les plans fasciaux a été largement documentée. [6,7]. La plupart de ces études se concentrent uniquement sur l’aspect macroscopique, structurel et palpable des fascias. Toutefois, un autre pan de la recherche sur les tissus conjonctifs est dédié à son anatomie microscopique. Ce réseau tridimensionnel s’étend non seulement autour de toutes les structures visibles du corps humain mais se ramifie également autour de chaque fibres musculaires, nerveuses et vaisseaux sanguins jusqu’au niveau de la matrice extracellulaire et de sa substance fondamentale [8]. Cet aspect des fascias encore peu étudié semble correspondre en plusieurs points au côté physiologique du réseau de distribution des méridiens jīng luò mài.
C’est à ce niveau que les correspondances avec le système circulatoire des méridiens jīng luò mài trouve une véritable hypothèse d’explication contemporaine.
Les travaux de Jean Claude Guimberteau, nous parlent ainsi d’un réseau de stockage, de distribution et de communication dans lesquels sont entreposés et distribués les énergies, informations et matériaux [9]. Tandis que Neil Theise, dans sa publication sur l’intersticium, décrit des espaces remplis de liquides soumis à des cycles de compression et de distension, ayant des parois denses et poreuses en constante adaptation structurelle. Ses observations soulèvent des questions sur l'impact des forces mécaniques au niveau de l'écoulement des fluides dans les structures et les cellules de cet espace [10].
C’est à ce niveau que les correspondances avec le système circulatoire des méridiens jīng luò mài trouve une véritable hypothèse d’explication contemporaine. À ce niveau microscopique où l’on observe l’ensemble des échanges cellulaires et capillaires, se retrouve une matrice globale et continue capable de communication, de sensibilité et d’adaptation structurelle.
Perspectives thérapeutiques
Puisqu’il existe de nombreuses similarités anatomiques et physiologiques entre le système fascial et celui des méridiens d'acupuncture, la compréhension de l'anatomie et de l'organisation des fascias devrait donc être au centre du choix de la stratégie thérapeutique et des sites de ponctures. Ultimement, l’orientation principale de tout traitement réside dans la libre circulation et la perméabilité des interstices du corps afin d’assurer une irrigation des matrices extracellulaires pour un fonctionnement physiologique optimal.
La réalité anatomique et les propriétés surprenantes du système fascial nous offrent une formidable opportunité de vulgariser les connaissances d’un système médical trop longtemps marginalisé. La redéfinition et l’actualisation du concept des méridiens jīng luò mài pourrait enfin permettre aux différents acteurs de la santé de partager d’importantes connaissances et informations cliniques dans le but d’aider la santé humaine.
---
Références
1 - Shaw V, Diogo R, Winder IC. Hiding in Plain Sight-ancient Chinese anatomy. Anat Rec. 2020;1–14.
2- Edward Neal, Journal of Chinese Medicine | Issue125 | February 2021 Twenty Years of Nèijīng Research: What Has Been Learned? Part 1. Background and Principles
3- Yu Bai, Jun Wang, Jin-peng Wu, Jing-xing Dai, Ou Sha, David Tai Wai Yew, Lin Yuan,and Qiu-ni Liang. “Review of Evidence Suggesting That the Fascia Network Could Be the Anatomical Basis for Acupoints and Meridians in the Human Body.” Hindawi Publishing Corporation Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine Volume 2011, Article ID 260510, 6 pages doi:10.1155/2011/260510
4- Steven Finando Ph.D., L.Ac. and Donna Finando, M.S., L.Ac., L.M.T, FASCIA: THE MEDIATING SYSTEM OF ACUPUNCTURE CLINICAL AND RESEARCH IMPLICATIONS Workshop Presented at the Second International Research Congress Vrije Universiteit, Amsterdam, October 31, 2009
5- Sue Adstrom, Gil Hedley, Robert Schleip, Carla Stecco, Can A Yucesoy, ‘’ Defining the fascial system’’, Journal of bodywork movement therapy, Jan 2017, 173-177, PMID: 28167173
6 -J. C. Longhurst, “Defining meridians: a modern basis of understanding,” JAMS Journal of Acupuncture and Meridian Studies, vol. 3, no. 2, pp. 67–74, 2010.
7- Guang-Jun Wang1, M. Hossein Ayati2, Wei-Bo Zhang1, Meridian Studies in China: A Systematic Review, Institute of Acupuncture and Moxibustion, China Academy of Chinese Medicine Science, Beijing, China, Acupuncture School, Beijing University of Chinese Medicine, Beijing, China, Acupunct Meridian Stud 2010;3(1):1−9, ELSEVIER
8- H. M. Langevin, N. A. Bouffard, G. J. Badger, J. C. Iatridis, and A. K. Howe, “Dynamic fibroblast cytoskeletal response to subcutaneous tissue stretch ex vivo and in vivo,” American Journal of Physiology, vol. 288, no. 3, pp. C747–C756, 2005.
9- J-C Guimberteau, C Armstrong, ‘’L'architecture du corps humain vivant: Le monde extracellulaire, les cellules et le fascia révélés par l'endoscopie.’’, Sully, France Canada; 2016.
Comments